CE QU’UN ARTISTE GRAPHIQUE SE DEMANDE TOUJOURS – J’IMAGINE – SE RÉDUIT SANS DOUTE À UNE QUESTION SIMPLE, CELLE-CI PAR EXEMPLE : QUE POURRAIS-JE AJOUTER À LA NATURE ? LA TERRE EST SI RICHE, SI VARIÉE, SI CHANGEANTE. DE QUOI MANQUE-T-ELLE ?
Voici la réponse de Daniel Louradour. Je devrais dire : une partie de sa réponse. On tient cet homme pour un décorateur et généralement on le dit « féerique », « merveilleux », « fantastique ». On admire la splendeur de sa vision, son sens de l’ornement et son goût de l’objet. On le voit installé dans un monde inventé, construit de toutes pièces, où ses fantasmes s’entrelacent. On n’oublie qu’une chose, c’est que tout cela vient de la nature, d’un rapport quotidien, obstiné, passionné, avec les choses de la rue. Voici l’occasion de voir comment se fabrique la féerie, en dessinant inlassablement des maisons le long de la plage, les chevaux de pierre à Venise, des passants et des clowns. En cherchant des matières, des rapports, des couleurs. En accumulant des carnets de notes. La féerie est un travail énorme. Mais évidemment ça ne suffit pas. Il faut y ajouter une conditionde vision. Il faut voir les chevaux de Venise se lancer à l’assaut des murs, les arbres se finir en femmes et les toits des maisons se percer de mâts de navires. Autrement dit, il faut voir autre chose, ce que les autres ne voient pas, et le leur montrer. Il faut voir et agir en peintre. Ce qu’on rajoute à la nature, alors, c’est justement ce qui se passe avec les autres, c’est une métamorphose éphémère, c’est – pour un soir de théâtre, pour un public, pour un moment – une vie plus aiguë que la vie elle-même.
— JEAN-CLAUDE CARRIÈRE
Quand on a la chance d’avoir du talent, il faut avoir le talent de sa chance. Je crois, cher Daniel, que cela correspond à votre carrière. Comme pour la musique, je ne me fie qu’à mon instinct, et dès notre première rencontre, et dès la découverte de vos oeuvres, j’étais certain de votre talent. Vous êtes de ceux qui ont ce courage d’être eux-mêmes, de ne sacrifier à aucune mode ; vous êtes, dans votre art, scrupuleux, exigeant, sévère, souvent irritant, mais vous faites accepter toutes ces contraintes en les transposant sur le plan merveilleux de la création. Je vous ai connu jeune et, avec le temps, vous êtes resté ce que je viens de décrire.
— GABRIEL DUSSURGET
[...] Alors, Louradour, un héros sans tache ? Non, en vieil ami j’ose l’affirmer, il avait un grave défaut. Ou plutôt deux: il était trop doué, et il était trop consciencieux. Avec sa méticulosité vétilleuse, avec sa volonté de perfection jusque dans les broutilles et ses prodigieux moyens d’y parvenir, il pouvait parfois se perdre dans les détails. Il m’arrivait alors de lui suggérer affectueusement : « Cesse de perdre ton temps dans ces petites contingences, retrouve l’air du grand large et la fulgurance de l’éclair ! ». Au-delà de ses facilités techniques, il les portait en lui. Et peut-être justement, en même temps que les circonstances de la vie, ses succès de décorateur souvent bridé dans son élan par les contraintes du théâtre lui ont-ils insuffisamment laissé la liberté d’effectuer pleinement la grande carrière de peintre qu’il souhaitait et que son talent appelait. Peut-être est-ce pourquoi son nom, pourtant reconnu, ne fut pas aussi célébré qu’il le méritait. C’est que cet homme simple, bon, généreux, cultivé, cet être honnête et pur était doué pour tout sauf pour l’autopromotion. Il ne bombait pas le torse et ne s’exhibait pas, il ne fréquentait pas le Tout-Paris mondain, il ne cultivait pas sa communication médiatique et n’intriguait pas dans le milieu des mécènes et des galeristes qui font et défont les rois. Cette imperfection, cette faiblesse ont précisément construit à mes yeux sa noblesse et sa grandeur. L’avenir lui rendra justice. Chez moi, exposées partout, ses oeuvres accompagnent désormais chacun de mes regards. Salut, Daniel, tu ne m’as jamais quitté !
— REYNALD GIOVANINETTI
En travaillant sur ses décors, Daniel Louradour semble livrer des batailles titanesques. Cependant, sa sensibilité, à la limite d’une fragilité, toujours dominée, se lance (comme toute créativité authentique) à la poursuite de l’objet représenté et de son ombre, constamment dédoublée d’un combat incessant. Tel Don Quichotte, Louradour rompt ses lances contre les murs d’un insupportable réalisme, pour aller conquérir le signe et le sens que tout objet, ou toute surface palpable, cachent au commun des mortels. [...] Dans toutes ses démarches, Daniel Louradour reste toujours ce compagnon qui nous convie à des voyages imaginaires dans le royaume théâtral, aux mirages fugaces, qu’il sait dominer avec grâce.
— GEORGES VITALY
De l’enfance, Daniel Louradour a conservé toute la gravité. Homme de spectacle, son univers appartient au merveilleux de ses premiers rêves, et son sens aigu de l’observation nourrit son imagination. Sa sensibilité et sa sensualité se confondent harmonieusement dans un lyrisme émouvant. Truquant les perspectives de ses paysages, unissant le vrai et le faux, il réveille, là où on ne le soupçonnait pas, un passé factice, sublimé à sa guise comme s’il voulait revivre « les fêtes d’autrefois ». La rue devient décor et les personnages qui la hantent ressemblent à des comédiens graves et statiques. Daniel métamorphose la banalité quotidienne en romantisme passionné. Ses lithographies évoquent de subtiles toiles d’araignée tissées miraculeusement pendant une nuit sur lesquelles il dépose lui-même, au matin, des gouttes de rosée reflétant de minuscules îles désertes aux palais vénitiens saupoudrés de baroque. Des caravelles géantes nous invitent au voyage comme un symbole de sa générosité et de son talent.
— PIERRE ETAIX